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| موضوع: L’histoire de Baysara الثلاثاء أغسطس 14, 2018 4:48 am | |
| L’histoire de Baysara Saïd M. Jendoubi (Tunisie)
Au fond, Baysara est un honnête homme. À le voir et à l’observer de près, vous êtes ébloui par son front luisant, entamé par une calvitie prématurée. Il n’a jamais cru que la chute de ses cheveux était le signe d’une intelligence particulière ou d’un quelconque génie ; autrement il aurait réussi sa scolarité, tout « comme les gens qui lui sont supérieurs ». C’est par ces mots que son père ne cessait de le sermonner, avant sa mort. Il ne supportait pas une telle déchéance de sa progéniture. Plus d’une fois il a essayé de le convaincre, mais en vain. Dans cette classe orpheline du Douar, où arrive le pauvre maître exténué, après avoir parcouru dix kilomètres, dégringolant presque, à travers les montagnes. Il prend sa place habituelle pour retrouver son souffle, alors que ses yeux se braquent instantanément sur les mets que nous avons apportés, comme tous les jeudi matin. Nous l’entendons, par la suite, mastiquer, derrière le rideau le séparant de nous ; nous nous moquons alors de lui. Dans nos esprits taraudés par l’idée de franchir Oued Sabou vers l’autre rive, il était le type même du citadin. La ruse de Baysara –ruse où il n’y était pour rien- n’aurait jamais été découverte s’il n’y avait pas eu l’examen régional. Passer le « Certificat » dans la ville qui se trouve à une demi-journée, parcourue à dos d’âne -dont l’habitude du trajet a rendu docile- mais aussi à pieds, chaussés de je ne sais quels ribouis, de tous temps et de toutes saisons. Dans son esprit, la terre s’est mise à tourner l’empêchant de se fixer sur quelque chose. Un tourbillon dans lequel, la terre luttait contre le soleil de l’Orient, puisse-t-il se débarrasser de sa robe poussiéreuse et chargée des résidus d’une si longue nuit ; alors que les fils de l’aube s’effilochaient au cœur du ciel, ternes. D’emblée, la question de géographie l’assomma ; mais cette année-là les candidats avaient le choix entre les deux matières, il se tourna alors vers celle de l’Histoire. Lorsque Baysara, échoua pour la troisième année consécutive, la malédiction de son père s’abattit sur lui comme s’abat la colère des souverains, dans leurs palais, sur une domestique ou sur un vizir. C’est peut-être là, la raison directe de son départ forcé du village. Du moins, c’est ce qu’il disait au gens. Voilà qu’il a maintenant trente ans, sans qu’il puisse se regarder dans un miroir. Il pense à en acheter un, puis il se rétracte, la peur dans le ventre de découvrir les rides qui coursent le temps dans la conquête d’un visage qui fut, jadis, beau. Tous les dimanches, il se réveille au son de l’horloge, il marche à travers les souks ; mais contrairement aux honnêtes gens, il se contente d’essuyer à la va-vite les contours de son visage, avant de se lancer à la recherche d’un lucre illicite. Ce jour-là, il hésita à mettre le nez dehors. Il faisait un temps de chien. Et, sous un pareil ciel, les négociants aux habits en laine à doublure, ne quitteraient pour rien au monde les chaleureux flancs de leurs épouses. Auprès d’elles, ils chercheront sans doute, la chaleur ; mais sans gêne ni peur d’attiser en elles une quelconque appétence. Elles savent qu’ils sont devenus, à force de fréquenter le marché de bestiaux, semblables aux bêtes, pis encore, Baysara, comme tous les célibataires, a essayé, pour sa part, de faire venir chez lui, une prostituée, après de vains efforts à combattre le désir par le jeûne –ce fut une leçon qu’il a apprise à l’école coranique de son village. Il se moque souvent de ces marchands de bestiaux qui palabrent longuement sur la virilité des taureaux tout en oubliant la leur. Par respect à ses voisins, Baysara réveille son invitée au petit matin. Et Dieu sait, combien avait-il tassé, en guise d’isolation phonique, de couches de cartons contre les murs qui séparent sa chambre des leurs. C’est qu’ici, les chambres sont collées les unes aux autres, donnant au quartier l’aspect d’une lèpre dans le corps de la ville. Chaque fois, il se demande s’il n’avait pas trop hurlé, en dépit de ses précautions, et puis il sourit, car même un pistolet équipé d’un silencieux, peut défaillir. Les gens du quartier, des couche-tôt, se réveillent comme des fourmis au bout d’une nuit écoulée à la lueur d’une bougie qui fond au même temps que la fatigue de la journée. Aujourd’hui précisément, Baysara a besoin d’un peu d’argent. Alors il scrute les chalands du marché aux bestiaux. Il guette le va-et-vient d’un homme, entre des vaches hollandaises, et dès que son flair lui transmet l’odeur d’une liquidité bien enfuie, et qu’il n’a plus de doute sur le fait que l’homme en question est bel et bien un négociant professionnel, il se rapprocha de lui afin de susciter un frottement. Au début, il teste la réaction de la victime, et puisque « l’habilité est dans la vivacité », comme le lui a appris sa mère, il ne tarde pas à faire ses calculs, afin d’évaluer le butin de la matinée. Baysara est un homme de foi. Il n’use de ses doigts experts pour récolter un butin, qu’après avoir évoqué Dieu et prier : « au nom de Celui-qui-ouvre, le Pourvoyeur ». Quand, un jour, il fut pris, la main dans le sac, par El-Haj Kaddour le boucher, il était le seul à blâmer ; ce matin-là il oublia d’implorer l’aide de Dieu. Résultat : trois ans de prison ferme. De nombreuses occasions passèrent sans qu’il puisse bénéficier des traditionnelles amnisties. Au terme d’une année, il interrogea un codétenu, de la même condition que lui et qui nourrissait néanmoins l’espoir d’une libération prochaine, sur la raison de cette méprise. Douze mois s’écoulèrent encore, et la réponse de son collègue de cellule, était toujours la même : « nul espoir d’être libérer avant de purger la totalité de la peine… ceux-là dont on entend d’eux qu’ils étaient graciés, sont pistonnés… leurs noms remontent accompagnés de consignes payées par avance… et c’est ainsi que se déclenche la machine de courtage… » Il sut par la suite, qu’un mois de remise de peine, vaut trois mille Dirhams, qu’une année d’une peine de cinq ans en coûte dix milles. Mais que ces prix subissent les fluctuations dictées par les caprices du climat du moment dans les villes de l’intérieur. Bref, comme dans le marché aux bestiaux, la tête d’un mouton ne vaut point celle d’un âne ! Pour cette raison, Baysara est devenu si scrupuleux qu’il ne se lance plus dans l’une de ses affaires sans prier Dieu. Il est aujourd’hui comblé de bonheur, puisque dix dimanches se sont écoulés, sans qu’il déplore le moindre échec. Baysara est néanmoins, déprimé ces derniers jours. On lui rapporta que l’insuffisance rénale de sa mère s’est aggravée, il ne peut cependant, lui rendre visite après ce qui s’est passé. Elle le désavoua, le vexa devant tout le monde et le chassa de la tente familiale comme on chasse les chiens errants. Tous les habitants du Douar ont assisté à la scène ; seule la présence de Fatna l’affecta. Autrefois, quand il revenait de la ville, soigneusement coiffé et bien habillé, il passait devant la maison de son oncle, avec une seule idée dans la tête. Il demandait des nouvelles de Fatna auprès des enfants, puis il poursuivait son chemin, non sans jeter un coup d’œil du côté du vaste poulailler où elle s’affairait. Comment pourrait-il la regarder en face, après ce qui s’est passé ? Il sentit le poids de sa mère, désormais supportable ; maintenant qu’elle est malade, elle doit certainement être plus conciliante à son égard. Et, peut-être même qu’elle désirerait le voir une ultime fois avant qu’elle ne s’éteigne. Cependant, Baysara n’arrivait pas à se décider. Sur son côté droit, il avait un œil sur un homme à la poche gonflée, alors que son esprit divaguait au Douar, entre deux femmes. Il se rapprocha de l’homme, s’y frotta tout en priant secrètement Dieu, implorant son aide. Et, en un clin d’œil, ce qui devait arriver, arriva.
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